CYCLE GRETA GARBO SUR FR3
«LA DIVINE»
FAIT TOUJOPURS REVER
Voici une semaine, FR3 débutait un cycle consacré à l'un des derniers mythes vivants du cinéma mondial: Greta Garbo. Cette dame qui aura bientôt soixante-dix-neuf ans, dont la beauté et l'expression du visage font toujours rêver de nombreuses générations, aura eu une vie digne de sa légende et ce jusqu'à son actuelle et mystérieuse retraite londonienne. Oui, loin s'en faut, le mythe Garbo n'est pas près de s'éteindre et il est fort judicieux de la part des responsables de«la chaîne du cinéma» de programmer cet hommage soixante années après le tout premier «grand film» de la célèbre suédoise, «La légende de Gösta Berling» qui entamait sa prestigieuse et fulgurante carrière.
La jeune fille qui éclata de mille feux sous les projecteurs hollywoodiens a vu le jour à Stockholm au sein d'une très modeste famille suédoise le 18 septembre 1905. De son vrai nom Greta Loyisa Gustafsson, elle fut d'abord vendeuse dans un magasin puis tourna dans de courts «inserts» publicitaires. Sa décision de devenir comédienne Greta l'a prise à l'âge de dix-sept ans. Inscrite à un cours d'art dramatique, c'est là qu'elle fait la connaissance du metteur en scène Mauritz Stiller. Sans aucun doute, la rencontre la plus importante de sa vie, celle qui détermina son destin.
L'ASCENSION VERS LA GLOIRE
Surnommé le «Grand Duc» à cause de son élégance, il prit la jeune fille sous sa protection, lui donna son pseudonyme et son premier grand rôle aux côtés de Lars Hanson dans «La légende de Gösta Berling». Ce chef-d'œuvre qui attira l'attention sur la débutante Garbo est une ample chronique consacrée à l'existence fastueuse de nobliaux provinciaux du XIX e siècle. Le film fit un triomphe à Berlin et le couple Stiller-Garbo décrocha un contrat avec la firme allemande «Trianon». Malheureusement, peu de temps après la société tombait en faillite. La situation qui ne s'annonçait guère brillante fut débloquée par G.W. Pabst qui donna à Greta un second rôle dans «La Rue sans joie», une admirable description de l'après-guerre viennois et de ses quartiers misérables. Le renommé Louis B. Mayer, de la M.G.M., de passage en Europe et leur proposant un contrat, Stiller et Greta Garbo n'hésitèrent pas à émigrer aux Etats-Unis. Au début, la jeune actrice resta sans travail, car le «big boss» semblait l'avoir oubliée. Il fallut un photographe, Arnold Genthe, et la publication de ses clichés «à effet», pour que la légende de la grande Garbo, fascinante et mystérieuse, commence à se répandre. Nous étions en 1926.
Examen réussi! Garbo débute enfin à l'écran! Mais, elle ne jouera pas sous la houlette de Stiller car Irwing Thalberg, le bras droit de Mayer, prend un malin plaisir à dissocier les Suédois… C'est sous les ordres de Monta Bell, un ami de Charlie Chaplin, que Greta fit ses premiers pas hollywoodiens dans «Le Torrent». La même année elle tourne «The Temptress» et triomphe dans «La chair et le diable» de Clarence Brown aux côtés du jeune premier romantique John Gilbert. C'est à partir de cette «union» idéale que l'on baptisa le couple «les amants du siècle» et Greta Garbo, dont le visage pâle et sévère répandu à des milliers d'exemplaires faisait battre les cœurs dans le monde entier, «La Divine». Les médias s'emparèrent de cette idylle, qui ne connut pas un dénouement heureux, pour en faire «l'alliance du feu et de la glace» (dixit!).
La danseuse angoissée de «Grand Hôtel».
Une somptueuse Anna Karénine, en 1935.
Puis, en 1927, Greta Garbo composa des personnages moins marmoréens, comme celui s'Anna Karénine dans «Love» d'Edmund Goulding , où Tolsto ï se trouvait mobilisé en son honneur. Alors qu'elle n'a jamais pu tourner aux States avec Stiller, paradoxalement, c'est le renommé Söjström qui la dirige dans «La femme divine» (eh oui!), l'adaptation d'une pièce de Gladys Unger. L'année d'après, en 28, elle traverse une dure crise morale avec la disparition de Stiller, son père spirituel.
Curieusement, cette mort co ï ncide avec l'accession de Greta au titre unanimement reconnu de plus célèbre actrice du monde. Marlène Dietrich n'était pas encore la Lola de «L'Ange bleu» de Sternberg et, la grande rivale de Garbo. Mais, si l'on en croit les mauvaises langues, il n'y avait aucune rivalité possible entre les deux monstres scarés car on filmait Garbo de la tête à la taille et Dietrich de la taille aux pieds…
DU «MUET» AU «PARLANT»
Pour l'heure, Dietrich est loin de Garbo et celle-ci se contente d'enchaîner films sur films, avec Fred Niblo qu'elle retrouva dans «La Femme mystérieuse», une biographie de Mata Hari, Clarence Brown et l'inévitable John Gilbert dans «A Woman of affairs» ou «Orchidées sauvages» de Sidney Franklin qui, par la suite et heureusement, laissa tomber la mise en scène pour devenir l'un des boss de la M.G.M.
De cette année il faut ressortir le film d'un Français, le seul sous les ordres duquel elle tourna, «Le Baiser» de Jacques Feyder. Ce fut l'un des derniers films muets que l'on tourna dans cette Amérique qui sa passionnait tout entière pour la nouvelle technique du «parlant». Pourtant Greta accepta, par admiration pour le talent de Feyder, de jouer le rôle d'une jeune épouse voulant liquider son mari plus âgé. Quand le film parut sur les écrans, elle tournait déjà un autre film dont la publicité proclamait «Garbo parle!». Pour toutes ces raisons «Le Baiser» fut un échec commercial…
SA PLUS PICHE PERIODE
Par contre, son premier parlant, «Anna Christie» de Clarence Brown, fut une réussite. Pourtant, tout le monde craignait pour Garbo ce passage du muet à la parole. Eh bien, elle le franchit avec aisance, sans coup férir, ce qui ne fut pas le cas de son amant malheureux John Gilbert dont la popularité dégringola à vitesse grand V. Le parlant en plein essor, Garbo n'arrête pas. On la voit dans «Inspiration» encore avec Brown, «Susan Lenox» et «Her full and rise» de Robert Z. Leonard, le mari de Mae Murray, une autre vie de «Mata Hari» de George Fitzmaurice, et puis le fameux «Grand Hotel» de Goulding. Après «Comme tu me veux» du même Fitzmaurice, elle découvre la manière géniale et avant-gardiste de Rouben Mamoulian dans «La Reine Christine» , C'est le premier «director» qui gomma un peu l'image Garbo pour la rendre encore plus mystérieuse, ajoutant des plans longs, des mouvements de caméras raffinés et des effets plastiques originaux. Bref, du grand art que l'on s'empressa de copier… A partir de 1933, le rythme des films de Garbo diminue, se limitant à un, voire deux, par an. Ce sont «The Painted Veil» de Boleslowsky et en 1935 le «Anna Karénine» de son directeur attitré Clarence Brown. Avec u budget somptueux et un casting remarquable, cette œuvre contient des séquences superbes dans lesquelles Greta irradie littéralement l'amour que porte en elle l'héroine. Après ce succès, vint la rencontre avec Cukor qui réaliste «Le Roman de Marguerite Gautier», titre américain «Camille», Adapté de La Dame aux camélias, c'est Robert Taylor qui a le redoutable privilège d'incarner Armand Duval… Mais, devant la nombreuse concurrence le public boude et le prestige de la M.G.M. décroît. C'est alors que Billie Wilder propose à Garbo le premier rôle fantaisiste de sa carrière dans «Ninotchka» de Lubitsch. Greta y incarne avec esprit un agent soviétique goûtant avec joie la vie des pays capitalistes. La «Divine» sourit, s'amuse, s'enivre au champagne! C'est inattendu, déroutant et réussi. C'est un triomphe!
Le succès du film l'incita à continuer mais «Two faced woman» du même réalisateur fut un échec complet, La «grande Garbo» traumatisée par ce ratage n'eut pas le courage d'une nouvelle tentative et se retira de l'écran pour une retraite annoncée provisoire et qui s'avéra définitive. Elle a 36 ans!
Ce mythe vivant sera ô combien entretenu par cette disparition prématurée, mystérieuse et silencieuse, qui se prolonge depuis plus de quarante-quatre ans. Le phénomène serait certes difficile à concevoir dans notre contexte actuel où même les grands acteurs se doivent de tourner pour ne pas être oubliés à jamais. Mais, en regardant Greta Garbo évoluer devant une caméra on ne peut qu'être impressionné par sa présence qui nous hypnotise et ce regard, ses yeux insondables qui même s'ils ne recélaient que le néant ont été à la base d'un immense phénomène social, moral et historique. Dans tous les rôles qu'elle a interprétés, Garbo conserve cette aura magnifique et irremplaçable qui fait d'elle, pou l'éternité, la reine des déesses du «glamour».
Jacques Mongie
«La Reine Christine»: royale interprétation.
PHOTOS KIPA / DOC. CHRISTOPHE L. |