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Combien d'admirateurs de «La Divine» remarqueraient
cette dame septuagénaire en vacances sur une plage
d'Antigua, aux Antilles?

GARBO
“LA DIVINE”
AU SOIR
DE SA VIE

De toutes les «stars qui ont scintillé au firmament de Hollywood, aucune n'a atteint l'éclat incomparable de Greta Garbo. Elle a quitté le cinéma depuis quarante ans et le public, jeune ou vieux, dès que son nom est évoqué, est fasciné par l'énigme de son étrange destin. Au sommet de sa gloire, après avoir tourné en seize ans vingt-quatre films, elle s'en est détournée, choisissant volontairement le silence et l'oubli, qu'elle n'a jamais d'ailleurs réussi à trouver. Deux écrivains, Frederick Sands et Swen Broman ont entrepris de briser ce mur du silence. «La Divine» a accepté de les rencontrer. Leurs longues conversations, et l'enquête qu'ils ont menée en Amérique et dans toute l'Europe, dégagent la véritable personnalité, étrange et attachante, de Greta Garbo. «Match» publie, en exclusivité, les pages les plus révélatrices de cette enquête.


Après avoir abandonné le cinéma, Greta Garbo a passé près de trente-huit
ans à fuir les photographes qui étaient devenus son cauchemar.

Elle passe ses
journées à marcher, à lire, à attendre…
“Je ne sais vraiment pas quoi”

J'ai rencontré Greta Garbo à Klosters dans les Alpes suisses, non loin de Davos, où elle passe deux mois chaque été. Elle a choisi Davos car c'était là qu'habitait son amie Salka Viertel, qui était devenue impotente. Greta avait fait alors l'acquisition d'un petit appartement près du centre de la ville. Salka Viertel est morte, mais Garbo demeure fidèle à ses habitudes.
«Le destin m'a enchaînée ici» constate-t-elle d'une voix morne. Elle passe ses journées à marcher, à lire, à attendre… «Je ne sais vraiment pas quoi». Elle a une terrasse de huit mètres cinquante sur laquelle elle fait quotidiennement 45 minutes de gymnastique et de jogging avant le petit déjeuner et elle fait généralement deux longues promenades par jour. Sa santé serait excellente, si elle n'avait une faiblesse des vertèbres qui la fait souffrir parfois. La peur d'une rechute de son mal de dos la hante et elle se soigne assidûment. Elle souffre aussi d'insomnie et de fatigue, troubles qui ont à coup sûr une origine nerveuse.
Malgré l'attention qu'elle porte à sa santé, elle n'est plus obsédée comme par le passé par «l'alimentation naturelle». A Klosters, juste avant la fermeture des magasins à midi et par conséquent à l'heure où ils sont vides, elle se glisse chaque jour chez l'épicier en face de chez elle, y fait des achats très modestes, pour ne pas dire maigres: quelques fruits, une salade, quelquefois des pâtes. «Vous devriez voir comment je mange et ce que je mange, m'a-t-elle dit. Je ne sais pas du tout faire la cuisine et je suis beaucoup trop paresseuse pour ouvrir un livre de recettes.»
Quand elle quitte le Suisse, Greta, qui a aujourd'hui soixante-quatorze ans, rejoint New York. Quand elle avait abandonné Hollywood, au début des années 1940, elle s'était d'abord installée au Ritz Tower Hotel, puis au Hampshire House.
Après la guerre, elle avait acheté un appartement de sept pièces dans un immeuble de la 52 e Rue Est, dominant l'East River. Cet appartement est depuis devenu son pied-à-terre new-yorkais. Jadis élégant et encore beau, l'immeuble souffre aujourd'hui des injures du temps et de la négligence. Il y a des fissures dans le marbre de la façade. Lors d'une récente visite, le portier n'était pas rasé, son uniforme luisant avait besoin d'être repassé. Le seul moyen d'entrer, si l'on n'a pas une clef, est d'appeler le locataire, par un interphone dans l'entrée, pour qu'il ouvre la porte intérieure par le moyen d'un système électrique. Les autres occupants ont leur nom et le numéro de leur logement sur un tableau à côté de l'interphone; celui de Garbo ne porte qu'un simple «G». L'ascenseur s'arrête directement à la porte de son appartement. Les voisins et le personnel de l'immeuble la traitent avec un respect généralement réservé aux familles royales. Ils ne lui adressent pas la parole, à moins qu'elle ne le fasse la première, ils ne sourient pas, à moins qu'elle ne leur sourie.
Son appartement, clair et aéré, est peint en rose. Elle n'a pas de domestique à demeure, rien qu'une femme de ménage deux fois par semaine. Sur les sept pièces, quatre sont condamnées en permanence. Elle n'utilise que la chambre, un grand living-room et une petite pièce donnant dans l'entrée. Contre l'un des murs du living-room en équerre, il y a une grande cheminée et des étagères couvertes de vieux livres reliés de cuir; sur un autre, des tableaux sont accrochés du sol au plafond.
La vie quotidienne de Garbo à New York varie peu. Vers dix heures du matin, elle met un manteau et un chapeau à larges bords tiré sur les yeux, des lunettes noires, et se promène dans son quartier de L'East Side sans but précis. «Je sors et je suis des gens, je vais où ils vont. Je traîne, simplement», a-t-elle dit à une amie. Le temps n'a pas calmé sa peur d'être reconnue et ses toilettes sont si modestes qu'on peut dire qu'elle se déguise.
Quand elle n'est pas invitée à déjeuner, elle fait quelques courses pendant sa promenade matinale – se permettant de temps en temps une petite boîte de caviar – et prend ses repas seule chez elle.
Après déjeuner, elle fait une sieste d'une heure, en emportant au lit les journaux du jour. Vers la fin de l'après-midi, elle ressort; elle regarde les vitrines et passe dans des galeries, mais achète rarement. De temps en temps, elle visite le musée d'Art moderne où elle était devenue l'amie d'Allen Porter, le conservateur du département du cinéma. Parfois, elle lui demandait d'organiser une projection privée d'un de ses films. C'est à Porter que Garbo a révélé qu'elle n'avait jamais dit: «Je veux être seule.» Elle lui a expliqué: «J'ai seulement dit que je voulais qu'on me laisse tranquille.» Leur amitié a cessé brusquement quand Garbo a découvert que Porter avait répété cette petite information sacrée à la presse.


Greta Gustaffsen tourne en Suède à dix-huit ans, en 1923, son premier film,
«La légende de Gosta Berling», sous la direction de Mauritz Stiller.

Elle coupe court
à toutes les conversations touchant
à sa carrière passée

Le soir, Garbo reste le plus souvent chez elle devant la télévision. Aux rares réunions mondaines auxquelles elle assiste aujourd'hui, elle coupe court à toute conversation touchant même de loin, sa carrière passée. «C'est comme si elle n'avait jamais existé», observe une de ses amies.
Elle n'aime pas vivre à New York, m'a-t-elle confirmé au cours de nos rencontres à Klosters. «Oui, bien sûr, il y a de bons théâtres et l'Opéra, mais comme je ne sors pas le soir, à quoi cela me sert-il? Je pourrais aussi bien vivre sur une île déserte. Je ne tiens en place nulle part et j'ai toujours été ainsi. Alors cela ne changera pas, où que j'aille.»
Avec résignation, elle a ajouté: «Alors à quoi bon?»
Elle voit la vie en noir. Elle emploie constamment dans sa conversation le mot allemand «verwahrlost», qui veut dire négligé, souillé, dépravé. «Alles ist verwahrlost» dit-elle plusieurs fois par jour, à propos de n'importe quoi, du temps qu'il fait ou des affaires internationales.
«Le monde entier est «verwahrlost», m'a-t-elle dit. Pourquoi les hommes les plus intelligents de tous les pays ne peuvent-ils se réunir et utiliser leur cerveau pour en faire un monde paisible? Pourquoi doit-il toujours y avoir des troubles et de la tension quelque part? Ach, alles ist verwahrlost.» Elle s'est souvent plainte à moi de la solitude et de l'ennui, parlant de sa «vie gâchée» et, pourtant, elle a toujours résolument résisté à tout engagement dans une quelconque activité charitable, durant sa longue vie solitaire. Elle m'a un jour avoué que cette interminable retraite, qui a alimenté pendant des années la presse et les commentaires mondains, elle ne l'avait pas vraiment souhaitée. Après la guerre, elle espérait bien faire sa rentrée à Hollywood. Elle avait promis à Louis B. Mayer de revenir s'il trouvait un bon sujet pour elle et la M.G.M. créa en 1945 une équipe spéciale dont la seule tâche était de rechercher des scénarios intéressants. Deux ans plus tard, quand Garbo eut rejeté tous les scénarios – sans exception – envoyés par le studio, Louis B. Mayer implora son amie Salka Viertel d'intervenir et de lui amener Garbo pour essayer d'arranger les choses. Mais Garbo estimait qu'une rencontre était inutile s'il n'y avait pas de sujet à sa convenance. A son retour d'un voyage en Suède après la guerre, en 1947, elle dit aux journalistes: «Je n'ai pas de projets, ni pour le cinéma ni pour autre chose. J'erre, simplement.»

Pendant quelques années, elle espéra faire une rentrée fracassante. Marie Curie, Anna Lucasta, Sarah Bernhardt ou George Sand furent toutes suggérées comme rôles possibles. Les projets et les scénarios lui paraissaient toujours imparfaits et, à toutes les pressions, Garbo répondait par ces mots: «J'ai fait assez de grimaces.»
Au cours de nos conversations, elle se montra toujours très libre dans ses propos. «Je fuis toujours quelque chose ou quelqu'un», me dit-elle spontanément un jour. «Subconsciemment, j'ai toujours su que je n'étais pas faite pour un bonheur réel et durable.»
Pourtant, à travers nos entretiens successifs, je compris l'idée que se faisait Garbo d'une «vie heureuse»: une petite maison à la campagne, avec une cheminée «pour s'asseoir et rêver», une cuisine simple et un ami sûr à ses côtés qui ne parlerait pas trop et n'interviendrait pas dans ses pensées. Elle rêve d'être comprise sans avoir parlé, d'être libre de faire ce qu'elle veut sans avoir besoin d'excuses ni d'explications.
Mais Garbo elle-même a dressé des barrières insurmontables entre elle et cette «vie heureuse». L'isolement qu'elle s'est imposé, sa constante recherche de la solitude, sa méfiance des autres lui ont apporté peu d'amis.
La Garbo que j'ai rencontrée fuit toujours à la vue d'inconnus et, de son propre aveu, la plus célèbre légende vivante du monde mène une vie solitaire et malheureuse. Quand je lui ai demandé si elle était heureuse d'être de retour en Europe, elle m'a répondu: «Heureuse, qu'est-ce que c'est? Je ne l'ai jamais été.» Elle éveille la pitié et la compassion.


En 1964, Garbo se rend en vacances en France
avec le milliardaire George Schlee qui va mourir
soudainement dans sa chambre, à l'Hôtel Crillon.

Greta paraîtrait
plus brillante, vêtue d'un sac, que les
autres femmes en zibeline

Son enfance a été assombrie par la pauvreté; adulte, elle n'a connu ni foyer ni vie de famille. Détestant la vie casanière sous toutes ses formes, elle n'a jamais voulu de foyer permanent, préférant habiter l'hôtel ou des maisons louées.
Pendant qu'elle me parlait, je ne pouvais m'empêcher de regarder avec attention son visage – considéré autrefois comme le plus beau du monde – et l'aisance de ses gestes.
C'est une personne très simple, naturellement, et jamais elle ne tente d'impressionner une nouvelle connaissance. Mais aussi, elle n'en a pas besoin: personne ne peut s'approcher de Garbo sans respect craintif et elle doit bien le savoir. Elle exagère sa simplicité de vêtements et de manières. Elle sait qu'elle peut paraître plus brillante vêtue d'un sac que la plupart des femmes en zibeline et elle préfère les pantalons et les chandails aux toilettes élégantes créées pour elle par les grands couturiers de New York.
Malgré la cordialité de Greta Garbo, il m'a paru évident qu'elle gardait sa vie intérieure aussi secrète qu'il y a cinquante ans. Il est probable que jamais personne n'a vraiment compris sa tournure d'esprit. Elle n'est pas intellectuelle et elle a toujours été gênée de son manque d'instruction, mais elle possède une bonne intelligence naturelle. Un de ses amis a dit: «Greta aurait fait une très bonne psychothérapeute. Elle a sa propre forme magique spéciale de thérapeutique. On ne a constamment conscience, en sa compagnie.»
Au cours de mon séjour en Suisse, j'ai pu constater qu'elle ne répondait jamais au téléphone, à moins qu'elle attende à une heure prévue l'appel d'une personne à qui elle veut parler. Même lors, on ne peut pas dire qu'elle «répond» au téléphone; elle se contente de décrocher et attend que son correspondant parle le premier. Pour le non-initié, c'est passablement inquiétant, mais ses amis connaissent son habitude et s'y résignent. Une fois la conversation engagée Garbo parle aussi longuement – ou aussi brièvement – que cela lui convient. Cela peut aller de trente secondes à une demi-heure, selon son humeur. En lui disant bonsoir, à la fin d'une conversation téléphonique, j'ai ajouté une fois, innocemment: «Dormez bien.» Elle me l'a immédiatement reprochée. «Ne dites pas ça! Bonsoir suffit. Je suis pleine de tabous. Maintenant, je ne vais pas fermer l'œil de la nuit en pensant à bien dormir.»
Un jour, après que nos relations fussent devenues de plus en plus amicales, elle m'a demandé de l'accompagner faire des achats à Saint-Moritz, à trois heures de route de Klosters.

Elle a longuement parlé du projet; elle savait dans quels magasins elle voulait aller, où nous déjeunerions. La conversation dévia sur les voyages en général et je lui ai parlé d'un coin au bord de la mer, près d'Athènes, où je venais de passer des vacances. Cela l'a intéressée et elle a dit: «Dans ce cas, Sandy, allons là-bas plutôt qu'à Saint-Moritz.» Le lendemain matin, elle avait changé d'idée sur les deux destinations: «Il y aura peut-être trop de monde.»
Alors, nous avons été faire des achats à Davos, où elle a examiné des pantalons, des chandails et des écharpes dans une dizaine de magasins. Elle fait souvent du lèche-vitrines mais, en général, elle est trop timide pour entrer. Cette fois, n'étant pas seule, elle avait plus d'assurance. Dans certaines boutiques, elle était reconnue, dans d'autres non. Après avoir beaucoup hésité, elle a fini par acheter un chemisier bleu marine et des bas de laine. Elle a fait ses achats dans le magasin où on faisait le plus grand cas d'elle. Quand nous sommes enfin allés prendre un café, elle m'a dit: «Je n'ai pas l'habitude d'acheter aussi vite. J'espère que je ne me suis pas trompée.»
Bien que Garbo aime voyager et soit naturellement libre maintenant d'aller où elle veut quand elle le veut, elle est prisonnière de ses craintes. Le voyage en train de Klosters à Davos dure vingt-cinq minutes; il a fallu deux ans à Garbo pour se décider enfin à le faire. Comme nous passions devant la gare de Davos, elle m'a dit qu'elle avait souvent voulu faire ce voyage mais qu'elle n'en avait pas eu le courage. «Bien souvent, je suis allée à la gare et j'ai fait demi-tour au dernier moment. Dieu sait combien de billets j'ai pris, mais à chaque fois que le train entrait en gare, j'avais peur et je m'en allais. Il m'a fallu deux ans pour que je m'y aventure enfin pour la première fois.»


John Gilbert et Greta tournent ensemble «La chair et le diable» à
Hollywood. Ils sont des amants fougueux à l'écran comme à la ville.

“Je resterai
célibataire, disait-elle en 1928. Je ne me vois
pas en épouse… vilain mot”

Elle a peur de la foule et d'être reconnue. Par conséquent, chaque fois qu'elle projette un voyage, elle doit prendre une décision difficile.
Si elle part sous son nom, elle sera traitée en personnalité, ce dont elle a horreur. Si elle voyage sous un faux nom, elle sera exposée à la foule, à l'agitation, à tous les inconvénients et les mésaventures des voyageurs ordinaires. Son dos l'empêche de soulever des objets lourds et comme elle risque de ne pas trouver de porteur… Bref, voilà pourquoi elle voyage peu.
Aujourd'hui, elle préfère sincèrement son isolement qui, après tout, ne lui a pas été imposé mais créé par sa propre volonté. Sa timidité n'est pas feinte et elle veut réellement être seule dans un monde de rêve de son choix. C'est sa manière de s'évader des réalités d'une vie où elle a trouvé peu de joies.
Garbo ne s'est jamais mariée. En 1928, alors qu'elle n'avait pas encore vingt-trois ans, elle écrivit de Hollywood à son ami Lars Saxon: «Je pense au moment où je pourrai m'établir en paix chez moi. Alors, Lars, nous aurons nos soirées de célibataires et nos verres. Parce que je vais probablement rester célibataire. Je ne me vois pas en épouse… vilain mot.»
Mais il y a eu des hommes dans la vie de Garbo et aucun n'a joué un rôle plus décisif ni laissé une marque plus durable que Mauritz Stiller. C'est à lui qu'elle doit d'être devenue une grande star. Bel homme, grand et mince, aux traits rugueux, avec des cheveux drus et des sourcils broussailleux, il avait un talent brillant et des manières théâtrales. A trente-huit ans, il était un des grands metteurs en scène suédois quand Greta Gustaffsen, âgée de quinze ans mais brûlant du désir de devenir actrice, vint le voir au printemps de 1920. Trois ans plus tard, elle apparut dans une production de Stiller, «La légende de Gosta Berling» et, à la fin de juin 1925, ils prirent tous deux le bateau pour New York, première étape du triomphe de Garbo… et du déclin de Stiller.
Démoralisé en voyant que Hollywood ne savait pas apprécier ni comprendre son art et sa technique, il retourna en Suède en 1927, laissant sa protégée à Hollywood. Quand il mourut, le 8 novembre 1928, il n'avait que quarante-cinq ans. Il tenait entre ses mais une photo de Garbo.
Garbo vénérait Stiller. Il lui avait tout appris, depuis la façon de tourner la tête jusqu'à sa manière d'exprimer l'amour ou la haine. Elle obéissait à ses moindres caprices. Elle vivait selon les plans de Stiller. Il lui disait quoi dire et quoi faire et elle obéissait.

La véritable nature de leurs rapports a été le sujet de bien des conjectures et des suppositions.
Lars Saxon, qui avait été le partenaire de Garbo dans «La légende de Gosta Berling» et qui était un vieil ami du metteur en scène, déclarait: «Je les voyais toujours ensemble mais je ne pensais pas que Stiller avait pour Garbo un intérêt autre que strictement professionnel et ça s'arrêtait là, à mon avis.»
Victor Sjostrom, metteur en scène suédois qui travaillait déjà à Hollywood quand Stiller et Garbo y arrivèrent, était d'un autre avis: «Pendant un certain temps au moins, Stiller a été amoureux de Garbo et elle de lui. Ils me l'ont dit eux-mêmes.» Nils Asther, un acteur suédois ami du couple, soutient la thèse de Sjostrom. Il était à Hollywood et tournait dans «Wild Orchids» avec Garbo quand le câble annonçant la mort de Stiller fut remis à l'actrice sur le plateau. «Elle est restée là, debout, la tête dans ses mains, sans pouvoir y croire. Quelques jours plus tard, Garbo a quitté secrètement Hollywood pour New York et elle est descendue sous un faux nom à l'hôtel Commodore, où Stiller et elle avaient passé leurs premiers mois en Amérique. «Je ne pourrai plus jamais être avec lui, disait-elle, alors je veux au moins revivre son souvenir.» Oui, elle l'aimait beaucoup, quoique je ne croie pas que l'amour physique ait joué un rôle déterminant.»
Il est fort probable que non. Comme plusieurs des hommes de Garbo, Stiller était homosexuel.
A la mort de Mauritz, Garbo fut comme un bateau sans gouvernail. Elle était ahurie, perdue, terriblement seule. Pendant plusieurs années, elle continua de parler de lui comme s'il était vivant, en l'appelant par son diminutif: «Moje». La plus bruyante des aventures de Garbo à Hollywood fut sa liaison avec son partenaire John Gilbert, qui avait été appelé «le parfait amant de l'écran». La blonde Garbo de vingt et un ans et le beau Gilbert de vingt-neuf – cheveux de jais, yeux de braise et dents éblouissantes – se rencontrèrent sur le plateau de «La chair et le diable» en 1926. Avant Garbo, John avait été deux fois marié et divorcé.

La publicité
inspirée par ses moindres
faits et gestes la
terrifiait

Il était la plus grande vedette masculine du muet, gagnant 10 000 dollars par semaine, encore plus que Rudolph Valentino. Décrit comme un homme hardi, fougueux, téméraire, Gilbert fut considéré par la M.G.M. comme le partenaire idéal pour la Suédoise froide et réservée. En les accouplant, on ne pouvait douter du succès. Il n'était plus besoin que d'une histoire d'amour suffisamment intense. On estima que «La chair et le diable», où Garbo jouait une femme adultère passionnée et Gilbert son amant, serait un choix idéal. Pour ajouter du piment à leur roman de l'écran, et pour aiguiser l'appétit du public, la M.G.M. publiait régulièrement des bulletins sur la progression de leur liaison.
Clarence Brown, le metteur en scène, déclara: «J'obtiens les meilleures scènes d'amour de ma carrière parce que je travaille avec de la matière première. Ils sont dans cet état de béatitude amoureuse qui ressemble tant à un nuage rose qu'ils s'y croient cachés et perdus.»
Toute hyperbole et publicité à part, les rapports amoureux entre eux étaient réels. Pendant le tournage de «La chair et le diable», Garbo et Gilbert devinrent de plus en plus «bons amis» et elle allait souvent chez lui à Beverly Hills. Il la surnommait «Flecka» – une petite déformation du mot suédois «flicka» qui veut dire «fille» - et elle l'appelait Jacky, en prononçant naturellement Yacky. Ils faisaient ensemble de longues promenades en voiture et pique-niquaient dans la montagne. Il ne faisait pas de doute qu'il était follement amoureux d'elle.
Pendant les deux années où ils tournèrent ensemble, Gilbert demanda à plusieurs reprises à Garbo de l'épouser mais elle refusa. Elle écrivit à Lars Saxon: «Je suppose que tu as lu dans les journaux des histoires sur moi et un certain acteur. Mais je ne vais pas me marier. Ils sont fous de nouvelles sensationnelles, alors ils me sont tombés dessus.» La publicité et les potins inspirés par leurs moindres faits et gestes la terrifiaient.
Malgré tout, plus d'une fois, Gilbert crut réellement qu'ils se marieraient. Il prépara même tout pour cela avec lune de miel dans le Sud-Pacifique à bord d'un yacht baptisé «The Temptress» (La Tentatrice). Mais alors que l'instant crucial approchait, Garbo prit ses jambes à son cou. Plus tard, le courage lui revint et elle parut prête à partir avec lui. Ils foncèrent en voiture jusqu'à Santa Ana où ils allèrent tout droit au bureau des mariages.

Mais une fois de plus Garbo eut peur au dernier moment et s'enferma dans les toilettes d'un hôtel voisin. Après cet incident, Gilbert renonça à ses tentatives.
Quand on l'interrogea sur leur liaison intermittente et les chances d'un mariage, Gilbert répondit rageusement au journaliste: «Elle dit qu'elle se mariera si je la laisse quitter le cinéma. Elle prétend avoir horreur de jouer la comédie, avoir horreur de Hollywood et de tout ce qu'il contient. Elle veut acheter la moitié du Montana ou de n'importe quel Etat inhabité et la transformer en ferme, pour y faire pousser du blé et élever des enfants. Franchement, je ne veux pas épouser une Suédoise idiote pour cultiver du blé et avoir des gosses à des lieues de toute civilisation.»
Une autre fois, un peut plus calmement, Gilbert se plaignait que Garbo «retenait toujours quelque chose, gardait une partie d'elle-même, même dans l'amour». «C'était dur», conclut-il.

Elle rencontre
Stokowski: “L'électricité me
traversa de la tête
aux pieds”

La fin de leur liaison co ï ncida avec le dernier d'une série de trois films qu'ils tournèrent ensemble,«A woman of affairs», présenté en 1929. Gilbert se hâta de chercher des consolations ailleurs. La même année, il épousa une autre actrice bien connue, Ina Claire. Peu après, Garbo confia à une amie: «Il n'y a jamais eu d'amour entre nous. Je me demande ce que je lui trouvais. Je suppose qu'il était beau garçon.»
Le plus près que Garbo fut jamais du mariage, ce fut quand elle se fiança avec Max Gumpel, en 1932… si fiançailles il y eut. Garbo connaissait Gumpel depuis son adolescence. Ils s'étaient rencontrés au Pub de Stockholm, un grand magasin, pendant le tournage d'un film publicitaire à l'occasion du 40 e anniversaire de l'établissement intitulé «Des pieds à la tête». Le petit garçon qui y jouait était le neveu de Gumpel et quand l'oncle Max visita le plateau, il fut immédiatement séduit par Garbo. Il avait quinze ans de plus qu'elle mais il devint bientôt son «amoureux». Ils sortaient souvent ensemble et puis ils se perdirent de vue quand Garbo entra à l'Académie royale de théâtre en 1922. Pendant les dix années suivantes, tandis que Garbo s'élevait vers la gloire, Gumpel devint un ingénieur du bâtiment millionnaire. Lorsque Garbo arriva en Suède, pour un long séjour en 1932, elle téléphona à Gumpel. Au début, il crut à un canular. Une fois certain que c'était bien elle, il l'invita à dîner. On les vit souvent ensemble et des bruits sur une nouvelle liaison ne tardèrent pas à courir. Vera Schmiterlow, une amie de Garbo depuis le temps de l'Académie, m'a confié récemment: «Max a été le premier grand amour de Greta. Quand elle est revenue en Suède, elle m'a téléphoné pour m'annoncer que Max et elle s'étaient fiancés et qu'il lui avait donné une bague. Greta m'a dit qu'elle en était très heureuse mais je ne crois pas qu'elle prenait cela très au sérieux parce qu'elle me le racontait en riant, comme si c'était une grosse plaisanterie.»
Un homme d'affaires américano- suédois, Eric Ericson, ami de Gumpel depuis de nombreuses années, se souvient aussi de ces «fiançailles». Il y eut un déjeuner solennel au Grand Hôtel de Stockholm. «Max est arrivé à l'hôtel avec Garbo, bras dessus bras dessous. Il ne m'avait pas averti qu'il l'amènerait. A la fin du repas, ils m'ont annoncé leur décision de se fiancer, sur-le-champ. Sur ce, Max a tiré un solitaire de sa poche et l'a glissé au doigt de Greta en me disant: «Voilà, nous sommes fiancés et tu es notre témoin mais n'en parle à personne.» Je suis parti peu après pour les Etats-Unis et je n'en au plus entendu parler.»
Personne n'en entendit plus parler. Garbo et Gumpel ne se marièrent jamais. Gumpel mourut en 1965 à l'âge de soixante-quinze ans. Il s'était marié deux fois et avait eu six enfants.

Une ami intime de Garbo m'a confié: «Elle ne voulait pas être capturée, mentalement ou au lit, et elle éludait résolument toutes les tentatives.».
Jusqu'au jour où elle rencontra un homme dont la gloire égalait la sienne.
Elle avait trente-deux ans quand elle fit la connaissance de Leopold Stokowski, le chef d'orchestre internationalement renommé du Philadelphia Orchestra. «J'ai eu l'impression que l'électricité me traversait de la tête aux pieds», confia Garbo à son amie après leur rencontre. Ils furent présentés, à la demande de Stokowski, par Anita Loos, à Hollywood, en 1937. Le maestro avait un charme irrésistible et la différence d'âge de vingt-trois ans ne gênait pas Garbo. Quelques mois plus tard, elle termina son film en cours et la seconde femme de Stokowski obtint le divorce. Rien ne s'opposait à des vacances et bientôt le couple partit pour l'Europe.

Greta et Leopold
s'enfermèrent 15 jours à Ravello
gardés par des policiers
et des chiens

Stokowski avait loué à un ami américain la Villa Cimbrone à Ravello, en Italie, et il s'y rendit le premier. Garbo le rejoignit quelques jours plus tard après une visite à sa famille en Suède. Pendant les premiers jours on put les voir se promener dans le village bras dessus bras dessous mais leur identité fut vite connue et la presse vint assiéger la Villa Cimbrone. Quatre policiers avec des chiens furent postés à l'entrée pour repousser les envahisseurs. Pendant les trois semaines suivantes, le couple vécut prisonnier, incapable de mettre un pied hors des jardins. Stokowski, un fanatique de la santé, y faisait de longues marches et on pouvait le voir initier Garbo à l'art du yoga. Tous les jours, les journalistes les regardaient faire leurs exercices ensemble. Se battant les flancs désespérément pour trouver de la copie, aucune histoire ne paraissait trop absurde aux journalistes.
Au bout de trois semaines, Garbo accepta de recevoir les journalistes à la condition qu'ils partiraient tous ensuite et les laisseraient tranquilles.
Quand on lui demanda si Stokowski et elle avaient l'intention de se marier, Garbo secoua la tête. «Il y a ceux qui veulent se marier et d'autres qui ne le veulent pas, dit-elle. Je n'ai jamais éprouvé le besoin d'aller à l'autel.» Elle ajouta: «Je n'ai pas beaucoup d'amis et je n'ai pas vu grand-chose du monde.

Mon ami, M. Leopold Stokowski, qui a été très bon pour moi, a proposé de m'emmener et de me montrer de belles choses. Avec optimisme, j'ai accepté. J'étais assez na ï ve pour croire que je pourrais voyager sans être découverte et sans être traquée. Pourquoi ne pouvons-nous éviter d'être suivis et examinés? C'est curel d'importuner les gens qui veulent être laissés en paix. Pour moi, cela tue la joie de vivre.»
Quelques jours plus tard, le couple quitta Ravello pour un voyage en voiture à travers l'Europe, qui se termina en Suède au mois de mai. Ils passèrent là trois mois, dans une maison de campagne, au sud de Stockholm sur le lac Stillen, que Garbo avait achetée deux ans plus tôt. Derrière de grands panneaux indiquant «Propriété absolument privée», Garbo et Stokowski trouvèrent enfin l'intimité qu'ils recherchaient tous les deux. Ils purent sortir selon leur bon plaisir sans être importunés, molestés, faire leur marché au village voisin et rendre visite à des amis. C'était pour Garbo la vie dont elle rêvait depuis longtemps.
Personne ne lui avait vu l'air plus heureux et radieux. Elle appelait Stokowski, «Stoky» et disait en parlant de lui «mon amoureux». Les amis trouvaient qu'ils formaient un couple idéal. Mais bientôt, la «lune de miel» prit fin, aussi soudainement qu'elle avait commencé dix mois plus tôt. Stokowski rentra seul aux. Etats-Unis. Deux mois plus tard, Garbo arriva à New York et accorda une interview surprise, à bord du paquebot, à la presse qui l'attendait. Quand on lui demanda si Stokowski et elle étaient déjà mariés, elle répliqua sèchement: «Vous seriez au courant de tout si nous l'étions.»
Pensait-elle se marier un jour? «Si je puis trouver la personne qu'il faut pour partager me vie, peut-être.»
Pendant les quelques jours que Garbo passa à New York avant de regagner Hollywood, Stokowski et elle ne se rencontrèrent pas. Ils ne se revirent plus jamais.
Leopold Stokowski avait initié Garbo au yoga. Il lui avait également fait connaître Gayelord Hauser. Elle devint la plus célèbre disciple du beau et sympathique diététicien germano-américain, auteur de «Look Younger, Live Longer».
Comme le rapporte Hauser dans son livre «Treasury of Secrets», il reçut un jour un coup de téléphone de Garbo, à Hollywood, lui demandant si elle pouvait venir le voir.

Les journaux
se délectèrent de la liaison entre
“La Divine” et Gayelord
Hauser

«Elle est arrivée comme une vision d'une beauté à couper le souffle, avec ses longs cheveux et son teint frais et doré. Miss Garbo avait entendu parler de moi par son ami Leopold Stokowski et elle venait me voir parce qu'elle s'intéressait beaucoup à l'alimentation. Elle suivait à cette époque un régime à base de légumes bouillis. En dépit de sa radieuse beauté, ce régime avait un effet marqué sur sa vitalité; elle souffrait de fatigue excessive et d'insomnie, elle risquait une grave anémie.
«Je me suis appliqué à la détourner du strict régime végétarien pour la ramener vers une alimentation plus intelligente… ce qui n'était pas une mince tâche avec une femme à la volonté d'acier. Finalement, elle a consenti à essayer mes recettes. Tout d'abord, naturellement, j'insistai sur un régime équilibré. Le lendemain, en passant la voir dans sa loge à l'heure du déjeuner, j'au vu qu'elle prenait ses légumes habituels, seule comme toujours, mais cette fois ils étaient crus, en grosse salade, avec du fromage et du germe de blé. Elle avait adopté mon programme de haute vitalité et elle n'a pas tardé à retrouver son énergie.»

Garbo, alors âgée de trente-trois ans, était enchantée par le fougueux diététicien. De dix ans plus âgé qu'elle, charmant et avec de belles relations, Hauser devint son chevalier servant. Il eut même l'idée d'en faire sa femme. Peu après la première de «Ninotchka», ils partirent tous deux pour des vacances en Floride.
De nouveau, les journaux s'en donnèrent à cœur joie en spéculant sur un prochain mariage. Garbo et Hauser, déclara la commère Louella Parsons, étaient «comme ça».
Hauser avait fait cadeau à Garbo d'une bague avec un diamant, avant le départ.
Les vacances durèrent un mois mais il n'y eut pas de mariage. Puis la liaison se refroidit, encore que Hauser continua pendant de longues années à être un des meilleurs amis de Garbo.
Garbo avait quarante ans et elle était toujours considérée comme la plus belle femme du monde quand elle fit la connaissance de George Schlee, le mari de sa couturière. Cette liaison devint la plus importante de sa vie et dura pendant près de vingt ans, jusqu'à la mort de George Schlee.
Schlee était un homme du monde, un millionnaire et l'associé pour les affaires de sa femme Valentina. On les vit souvent tous trois ensemble jusqu'au jour où ce ne fut plus que Garbo et Schlee. Garbo acheta un appartement dans le même immeuble que les Schlee, dans la 52 e Rue Est, à New York.
Les amis de Garbo remarquèrent vite l'influence de Schlee sur elle. Elle devenait plus sociable, elle s'intéressait plus à la vie. «Elle réagissait à sa forte personnalité et acceptait ses directives sans poser de questions. Il la conseillait aussi pour ses affaires financières», dit une amie. Une autre, faisant allusion aux rapports de Garbo avec Schlee dans les dernières années, dit que l'actrice considérait Schlee comme son «grand protecteur». Cette amie disait: «Il était plus vieux et plus sage que la plupart des autres qu'elle avait connus, l'image d'un père qui veillait sur elle et non un amant comme beaucoup le croyaient. Par moments, il la traitait comme une enfant. Il la dominait complètement et elle se laissait faire parce que seule elle se sentait en état d'insécurité permanent. George la connaissait mieux que n'importe quel autre homme.» Les origines russes de Schlee, ses traits lourds, ses manières autoritaires éveillaient peut-être le souvenir de Mauritz Stiller.
Sans chercher à dissimuler leurs rapports si peu conventionnels, Garbo et Schlee passèrent les étés ensemble à la villa de Schlee, Le Roc, au Cap-d'Ail, sur la Côte d'Azur. Elle allait se baigner au petit matin et prenait des bains de soleil, en général les seins nus, dans une partie dissimulée des jardins.


Cecil Beaton, photographe célèbre, fait découvrir Londres à «La
Divine». Ils étaient inséparables au début des années cinquante.

Cecil Beaton tint
un journal méticuleux des 2 ans de sa liaison
tumultueuse avec Garbo

Leurs amis se souviennent que Schlee était «follement jaloux» de Garbo et lui interdisait prudemment la compagnie des jeunes hommes.
Schlee mourut en octobre 1964 à Paris, où Garbo et lui étaient descendus au Crillon. Il était en mauvaise santé depuis quelque temps. Une fois installés dans deux suites contiguës, ils dînèrent tôt et se retirèrent chacun chez soi. C'était la dernière fois que Garbo le voyait vivant. Il eut une crise cardiaque dans la nuit et mourut pendant son sommeil.
En apprenant sa mort, Garbo fut prise de panique. Elle fit ses bagages à la hâte et s'enfuit de l'hôtel.
Pour Valentina Schlee, ce fut la fin de ce qui restait de son amitié avec Garbo. Quand elle ramena par avion le corps de son mari à New York, elle indiqua clairement à Garbo qu'elle ne souhaitait pas du tout sa compagnie pour le dernier voyage de George Schlee.
Des amis du couple dirent que l'homme d'affaires millionnaire avait laissé à Garbo une grande partie de sa fortune en actions et en propriétés en Italie et dans le Midi de la France. Quant à savoir s'il mit à son nom Le Roc, la villa où ils avaient vécu, c'est problématique. Les documents prouvant la propriété de Garbo ne purent être produits et Valentina vendit la maison sans perdre de temps.

Cecil Beaton eut aussi une liaison tumultueuse avec Garbo et il tint méticuleusement un journal des deux ans pendant lesquels elle dura.
Ils firent connaissance pour la première fois vers le milieu des années 1930 à une réception à Hollywood. Ils ne se revirent pas mais, à en croire Beaton, la nuit se termina par une aventure éphémère mais intime.
Dix ans plus tard, Beaton retrouva Garbo, qui s'était retirée de l'écran et vivait à New York. Ni l'un ni l'autre n'avait oublié leur première rencontre. «Nous avons repris spontanément là où nous nous étions arrêtés, mais cette fois pour plus longtemps», écrivit plus tard Beaton. Il avait quarante-deux ans, Garbo quarante et un et aucun des deux n'était marié.


En 1923, Greta vogue avec son metteur en scène suédois vers les
Etats-Unis où elle deviendra très vite une star. Stiller retournera en Suède.

“Je suis difficile
et névrosée, constatait-elle. Personne ne
pourrait vivre avec moi”

Au printemps de 1946, Beaton nota: «Elle n'a jamais envisagé le mariage avec personne en particulier. «Mais en prenant de l'âge, dit-elle, nous nous sentons plus solitaires» et peut-être pensa-t-elle qu'elle avait eu tort. Elle songea qu'il était temps d'envisager des rapports durables.
«Je lui ai demandé: «Pourquoi ne pas m'épouser?» Garbo m'a regardé avec stupéfaction et m'a répondu: «Il ne faut pas parler de mariage à la légère.» Je lui au assuré que je parlais sérieusement. Alors, elle a dit: «Tu me connais à peine. Tu t'inquièterais, tu ne comprendrais pas pourquoi je suis triste et mélancolique.»
«Je lui ai demandé tout de go: «Est-ce que tu m'aimes?» A ma grande surprise, elle m'a répondu: «Oui».
Les vacances de Noël de 1947 furent le point culminant de leur liaison. Le cour de Noël, ils allèrent à une réception chez Erich Maria Remarque. En rentrant à pied à l'hôtel de Garbo, au petit matin, bras dessus bras dessous dans les rues désertes, ils ne parlèrent que de mariage. Je lui ai dit, raconte Beaton: «Je sais que tu n'aimes pas ton prénom. Comment voudrais-tu que je t'appelle?» Spontanément, elle m'a répondu: «Appelle-moi simplement ta femme.»
Quand Beaton dut retourner à ses affaires en Angleterre, il voulut que Garbo l'accompagne. Elle refusa, Décrivant leur séparation, il écrit: «J'avais l'impression de devoir subir une amputation. C'était la fin d'une grande histoire d'amour, pour nous deux. Les derniers mots de Garbo furent: «Tu vois comme je suis difficile et névrosée. C'est impossible de vivre avec moi.» Je voyais devant moi une enfant, sa figure plaine de chagrin et de douleur.»

Finalement, tous deux acceptèrent de se contenter de l'amitié et Garbo fit des séjours prolongés dans la maison de campagne isolée de Beaton, dans le Wiltshire. «Cependant, la question de notre mariage ne semblait pas avancer, écrivit-il. Chaque fois que j'abordais le sujet, elle le tournait en plaisanterie.»
A la fin d'une de ces visites qui avait duré deux mois, ils allèrent tous deux à Paris où Garbo voulait faire des achats. Une fois là, elle décida soudain de reprendre l'avion pour New York. «Quand je l'ai rejointe à New York quelques semaines plus tard, écrivit Beaton, elle refusait de répondre au téléphone. Je n'arrivais pas à y croire… après tant d'intimité.»
Beaton publia son journal en 1973. Garbo en fut outrée.
«Je ne puis me voir comme une épouse… vilain mot.» Un demi-siècle s'est passé depuis que Garbo a écrit ces mots mais elle n'a pas changé d'idée. Elle m'a dit: «J'ai peut-être eu tort de ne jamais me marier mais j'ai toujours eu peur au dernier moment et je me suis enfuie. Au fond de moi-même, quelque chose m'a toujours dit que je ne ferais pas une bonne épouse.»
Le dernier jour de mon séjour, j'ai vu encore une fois le mal qu'elle a à affronter la vie quotidienne, quand nous avons déjeuné dehors. Elle voulait sincèrement ne pas être remarquée ni reconnue; pourtant, parce qu'elle n'arrivait pas à choisir une table, elle est restée longtemps au milieu du restaurant en essayant de se décider. Inutile de dire que, lorsqu'elle fit enfin son choix, on l'avait reconnue. Quand on nous a apporté l'addition, elle a voulu que nous partagions. «Pourquoi faut-il toujours que les hommes paient pour les femmes?» demanda-t-elle, et je la taquinai: «Vous êtes féministe?»
«Pas vraiment, répondit-elle. Pas quand je vois à quoi elles ressemblent presque toutes.»
Malgré le froid et les averses intermittentes, Garbo proposa que nous fassions une promenade digestive au bord du lac. Un groupe de musiciens hippies jouait devant le restaurant. En d'autres temps, Garbo aurait battu vivement en retraite pour se cacher dans la salle mais cette fois elle resta tout près d'eux, les écouta jusqu'au bout et battit joyeusement des mains à la fin. Mais dans la voiture, elle parut s'attrister et je lui demandai ce qui n'allait pas.

«J'ai gâché ma vie, dit-elle, et il est trop tard pour la changer. Voyez-vous, ces promenades ne sont qu'une évasion. Quand je marche seule, je pense à ma vie et au passé. Il y a beaucoup de sujets de réflexion. Je ne suis pas satisfaite de la vie que je me suis faite.»    

__________________________________
© 1979 PAR FREDERICK SANDS.
PUBLIE PAR AUTORISATION DE GROSSET &
DUNLAP INC. TOUS DROITS RESERVES.
TRADUIT PAR FRANCE-MARIE WATKINS.

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from:   PARIS MATCH,        28.11.1980
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