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Tirée de l'autobiographie de Jean-Pierre Aumont, Le Soleil et les ombres

Robert Laffont, 1976. Jean-Pierre a vécu aux États-Unis, où il tourna plusieurs films, de 1940 à 1943, puis de 1946 à probablement 1950. Il est mort en 2001.

L'acteur français, Jean-Pierre Aumont rencontre Garbo chez Salka Viertel peut-être à la fin des années 1940. Le récit qu'il en fait est assez étrange.

Greta Garbo

Cette magie, sans doute à jamais disparue, nulle ne l'incarna mieux que Greta Garbo.
Insaisissable, mystique, à la fois victime et prêtresse de ses charmes, androgyne, érotique et insatisfaite, vulnérable et dure, ondine en mal d'océans engloutis, chevalier d'un Graal qu'elle n'atteignit jamais…

Jean Cocteau l'avait baptisé L'énigme des énigmes . On eût dit qu'il avait écrit pour elle le rôle du Sphinx dans la machine infernale. […]

Et puis… et puis, un beau jour, ma grande amie Salka Viertel m'appela. Je l'avais connue à la MGM où elle écrivait des scénarios. C'était une femme cultivée et tendre qui réunissait chez elle tout ce que l'intelligentzia européenne comptait d'écrivains, de musiciens, de peintres de talent. Contrairement aux autres soirées hollywoodiennes, les siennes étaient enrichissantes pour l'esprit.

Ce jour-là, et d'une voix mystérieusement assourdie, elle me demanda de passer la voir, non pas le soir comme d'habitude, mais à cinq heures de l'après-midi. Intrigué, j'arrivai chez elle, dans une maison de Pacific Palissades d'où l'on apercevait la plage de Santa Monica. Salka m'embrasse et, en tremblant, me confia dans le creux de l'oreille, en prenant bien soin que le moindre domestique ne puisse nous entendre:

– Elle va venir.
– Qui, elle?
– Elle, murmura Salka d'une voix hagarde, elle…

Quelques instants plus tard je me trouvai frappé par la plus radieuse apparition.
Accompagnée de deux lévriers, cheveux au vent, son corps sec moulé dans un pull-over et une paire de blue-jeans, sans une trace de poudre ni de rouge, surgit Greta Garbo. Elle ne ressemblait en rien à la créature décharnée et apeurée que j'avais aperçue de nuit. Elle était belle et jeune, fière et éthérée…

Muet, je la contemplai longuement, comme on contemple au musée, un chef-d'œuvre.Une camériste apporta le thé. Salka et elle parlèrent de choses et d'autres. J'étais trop occupé à regarder pour écouter. Soudain, alors qu'elle n'avait pas semblé me prêter la moindre attention, elle se tourna vers moi et laissa tomber:

– J'ai l'intention de tourner un film sur George Sand. Cela vous amuserait-il de jouer Alfred de Musset?

Avant que je puisse répondre, elle se lève.Silencieuse, impondérable, les deux lévriers l'encadrant, elle repart dans le soleil et dans le vent… Étrange vision… Il y avait si longtemps que je rêvais de la rencontrer ! Elle m'était devenue si désincarnée, si chimérique que j'en tais arrivé à me demander si elle existait…Je continue à me le demander.

 

 

 

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