LE FILM QUI PASSE…
La reine Christine
IL fut un temps où Rouben Mamoulian, jeune metteur en scène arménien, promettait les plus beaux espoirs; il venait de tourner Les Carrefours de la Ville. Il nous donna ensuite Docteur Jokyll et M. Hyde, qui nous ravit et Aimez-moi ce soir, féerie-opérette, qui nous enthousiasma. Aujourd'hui, il nous présente La Reine Christine . Disons-le franchement, cette œuvre n'est pas digne de lui. N'importe quel metteur en scène aurait pu faire comme il a fait. Pas un instant nous n'avons eu l'impression d'assister à la projection d'une bande d'un mérite exceptionnel.
Fatigue? Désir immédiat d'argent? Erreur? Nous ignorerons sans doute longtemps encore la raison réelle pour laquelle La Reine Christine manque de vigueur autant que d'originalité.
Ce qui, dans le passé, marquait si fortement les ouvrages du jeune maître c'étaient ses dons d'ironie légère et son souci du détail. Il ne détestait pas l'anecdote et avait la chance de ne jamais s'y égarer. Ainsi son talent d'enlumineur s'équilibrait avec ses dons de sculpteur dont les bas-reliefs étaient empreints d'une grande puissance. Au surplus, comme son confrère Josef von Sternberg, il tenait de l'école allemande ce penchant pour «le clair obscur» qui donne aux images un relief et un atmosphère où «le rêve» se mêle à «la réalité».
Hormis ces éclairages, rien ne subsiste ici de la griffe habituelle de l'artiste.
A sa décharge, déclarons que le scénario manque d'intérêt et qu'il prend avec l'Histoire des libertés inadmissibles. A ce propos, nous constatons depuis la saison dernière une recrudescence des vies romancées «à la manière californienne»: Rotchschild, Catherine II, etc…, dont les figures magistrales sont évoquées sous un piètre aspect. Quant aux faits authentiques, ils sont travestis de la plus ridicule façon et donnent au spectateur moyen une fausse idée des mœurs de l'époque reconstituée. Les metteurs en scène de Hollywood écrivent l'Histoire comme Alexandre Dumas père, c'est-à-dire, très mal. «Qu'importe les anachronismes pourvu que le canevas soit palpitant», telle est leur thèse.
Le film débute en 1632, au cours de la Guerre de Trente Ans, qui a pour cause essentielle l'antagonisme des Protestants et des Catholiques. Gustave-Adolphe de Suède vient de mourir victorieux et sa fille, Christine, monte sur le trône. De bonne heure, elle est instruite à la politique par son chancelier Oxenstiern.
Jusqu'ici, tout va bien.
Une césure de vingt années. Christine est devenue femme. Dès lors, tout se gâte.
Au lieu de nous montrer la souveraine protectrice des sciences et des arts et compromettant ses finances par son luxe extravagant, ou nous oblige à assister à une insipide amourette entre la Reine et l'ambassadeur d'Espagne, affublé du prénom d'Antonio. On ne nous fais pas non plus la grâce des mines dépitées et jalouses d'un troisième larron: le Grand Trésorier Magnus. Ensuite, parce qu'elle ne peut épouser Antonio, Christine abdique! Entre-temps, celui-ci, qui ne se croit plus aimé, est reparti vers sa Castille natale. A bride abattue, après la cérémonie de la renonciation au trône de Suède, Christine tente de le rejoindre. Hélas, son amant vient d'être blessé à mort par Magnus au cours d'un duel épique. Transporté à bord du vaisseau qui l'attendait, le noble hidalgo a encore un regard pour celle qu'il aime et meurt dans ses bras.
On ne se lasse jamais d'analyser
l'âme de la «Garbo».
Comment Rouben Mamoulian a-t-il pu se prêter à une telle comédie? Il n'en avait donc pas saisi tout le ridicule?
Vraiment, si la trame avait été palpitante, nous aurions eu tort de nous montrer très sévère à l'égard de ce film; mais elle est insignifiante.
Puisqu'il s'agissait pour le scénariste de mettre en scène les favoris de Christine, pourquoi avoir choisi des personnages légendaires, alors qu'il aurait pu ressusciter le médecin français Bourdelot, Pimentel, Tott, le comte de La Gardie ou d'autres? Tant d'incompétence désarme et, comme disait Beaumarchais «mieux vaut en rire de crainte d'en pleurer». Il est également divertissant d'assister à la séance du Parlement, au cours de laquelle Christine tient les propos d'un agent électoral. On devine par-là l'idéal qui tient le plus au cœur des fermiers du Dakota ou du Missouri: la paix universelle et le triomphe de l'Eglise protestante sur les papistes.
De la mise en scène, il n'y a pas grand-chose à dire. Elle est convenable. C'est tout. Par-ci, par-là. quelques traits humoristiques, comme le lever de la reine, dont la camériste est remplacée par un vieux valet de chambre qui aide Christine à passer sa culotte et à mettre ses bottes, car elle adore se vêtir, d'habits de cavalier; la rencontre de l'ambassadeur d'Espagne et de la Souveraine dans une modeste auberge dont ils partagent ensuite l'unique chambre, ne manque pas de piquant, d'autant plus que Don Antonio ignore qu'il est en présence d'une femme.
Greta Garbo, sous les traits de la Reine Christine, n'a rien perdu de son charme étrange et sauvage. Avec son nez droit, ses yeux profondément enfoncés dans les orbites, ses cheveux rejetés en arrière, sous les vêtements masculins, elle évoque assez bien Hamlet. On ne se lassera jamais d'analyser l'âme de «la Garbo» comme ils disent aux Etats-Unis. C'est sur elle. vous n'en doutez pas, que repose tout le film. Elle en est l'attraction principale. Heureusement, car sans elle il n'en resterait rien. A certains endroits sa face de Pierrot lunaire aux long cils touffus prend des expressions profondéments dramatiques et qui émeuvent. John Gilbert n'évite pas le ridicule en ambassadeur d'Espagne, sans doute parce qu'il manque d'élégance sous le pourpoint et que son jeu est lourd et sans grâce. Seuls, Ian Keith et Lewis Stone forcent l'attention par leur gestes sobres. La Reine Christine p'ajoute rien à la gloire de Greta Garbo, ni à la réputation de Rouben Mamoulian. L'une et l'autre auraient pu se dispenser d'entreprendre ce travail, d'autant plus qu'au printemps les rives du Pacifique ont, paraît-il, un charme à nul autre pareil, qui incite au repos.
Louis RENARDI
Greta Garbo et John Gilbert
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